Nommer des femmes aux postes de pouvoir, c’est une obligation depuis 1979! Stéphanie Hennette Vauchez
A la fin des années 70, l’ONU adoptait la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Et depuis? Pas grand chose. Pourquoi ne pas désigner une femme au secrétariat général du gendarme du monde?
New York, où siège cette semaine de l’Assemblée générale des Nations Unies, fut aussi, il y a dix jours, le lieu d’où fut lancée la campagne GQUAL (Campaign for gender parity in international representation). Son objet ? Inviter tous et toutes à exercer une pression sur les Etats du monde afin qu’ils se conforment à leur obligation de promouvoir la place des femmes dans l’ensemble des postes de pouvoir – y compris dans les organisations internationales !
Car oui, c’est bien d’une obligation qu’il s’agit. L’article 7 de la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui date de 1979, est très clair – et compte parmi ces dispositions du droit international et européen qui constituent des pépites d’audace et de précocité :
« Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d’égalité avec les hommes, le droit : a) De voter à toutes les élections et dans tous les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus; b) De prendre part à l’élaboration de la politique de l’État et à son exécution, occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement; c) De participer aux organisations et associations non gouvernementales s’occupant de la vie publique et politique du pays ».
Ainsi, bien avant que l’on se mette à parler, dans les débats constitutionnels et politiques nationaux, de parité hommes-femmes, la nécessité d’un accès des femmes aux arènes de pouvoir était affirmée. L’article 8 de la Convention précisait bien qu’il s’agissait de garantir l’accès des femmes à tous les échelons de pouvoir – nationaux comme internationaux : « Les États prennent toutes les mesures appropriées pour que les femmes, dans des conditions d’égalité avec les hommes et sans aucune discrimination, aient la possibilité de représenter leur gouvernement à l’échelon international et de participer aux travaux des organisations internationales.»
Michelle Bachelet Jeria, présidente du Chili, à la tribune de l’ONU, à New York. En deux jours de débats, le 28 et le 29 septembre, 62 hommes et seulement neuf femmes, cheffes d’Etat ou de gouvernement ou ministre des affaires étrangères, se sont exprimés dans le cadre de la 70ème assemblée générale de l’Organisation des nations unies. Photo Amanda Voisard / UN
Sur la parité au niveau national, on sait qu’il a fallu en France deux révisions constitutionnelles (1999 et 2008) pour imposer l’idée qu’il était légitime que le législateur puisse prendre des mesures destinées à « favoriser » l’égal accès des femmes et des hommes «aux mandats électoraux et fonctions électives, et aux responsabilités professionnelles et sociales» (art. 1 de la Constitution). Depuis lors, de nombreux textes législatifs se sont succédé pour traduire concrètement cette exigence constitutionnelle (voir la liste sur le site du Haut Conseil à l’Egalité Femmes Hommes). Il reste, aujourd’hui encore, d’importants efforts à réaliser pour que les différents dispositifs ne prennent pas l’aspect d’écrans de fumée ou de farces d’illusionnistes tant leurs sont effets limités (Ch. Girard, I. Boucoboza, Le genre du pouvoir, in REGINE, La loi & le genre. Etudes critiques de droit français, Ed. du CNRS, 2014). Il n’en demeure pas moins que l’argument de la parité a, depuis vingt ans, gagné en légitimité. Si les débats constitutionnels de la fin des années 1990 ont été âpres et disputés (Joan Scott, Parité ! L’Universel et la différence des sexes, Albin Michel, 2005), l’idée s’est inscrit dans les textes avec l’adoption de la loi sur la place des femmes dans les conseils d’administration (2011), dans la haute fonction publique (2012), dans les instances de la gouvernance universitaire (2013) ou dans les fédérations sportives (2014). De plus en plus, on accepte que la notion même de représentation englobe pour partie la question d’une représentation équilibrée en les sexes (voir le prochain colloque organisé par la professeure Olivia Bui Xuan à l’Université d’Evry, 5 novembre 2014).
Sur la parité au niveau international, la situation, pour être moins fréquemment chroniquée, n’en est pas moins largement aussi criante. Si une campagne a récemment été lancée pour que le prochain secrétaire général des Nations Unis, dont l’élection aura lieu en 2016, soit une femme, c’est bien parce que cela n’a jamais été le cas depuis la création de l’ONU en 1945 ! La question gagne en visibilité ; le 11 septembre dernier, l’Assemblée générale a ainsi adopté une résolution invitant les pays membres à « envisager de présenter des candidates à ce poste »…
Mais bien au-delà de ce poste-phare de l’ONU, c’est dans l’ensemble des instances et organismes internationaux que les femmes demeurent nettement sous-représentées ; et cet état de fait est largement imputable aux Etats qui jouent une rôle prépondérant dans leur composition. La chose est pourtant soulignée depuis longtemps, et le droit international compte précisément parmi les domaines du droit où la critique féministe s’est faite le plus entendre (v. en français : Hilary Charlesworth, Sexe, Genre et droit international, Pedone, 2012). Elles sont sous-représentées, aussi, dans les tribunaux internationaux, alors même que le nombre et l’importance de ces derniers ne cesse de croître. Qu’on en juge : il n’y a aujourd’hui aucune femme juge à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme ; seules trois femmes ont été nommées juges à la Cour internationale de la justice (la première d’entre elles en 1995) ; pour ce qui concerne la Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’exigence formulée en 2004 par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe de voir les Etats faire figurer toujours au moins une femme parmi les trois candidats qu’ils peuvent présenter tous les 9 ans pour siéger à la Cour de Strasbourg a suscité de très vives réticences –à tel point que les Etats ont obtenu le droit de conserver la possibilité de ne présenter que des hommes dans les circonstances exceptionnelles où il serait impossible de trouver une femme suffisamment compétente… ce qui fut le cas, visiblement, en Belgique en 2011 et en Moldavie en 2012…
Où l’on voit que l’idée même de parité demeure ici très controversée, voire subversive. Les chiffres ne sont pas meilleurs lorsqu’on se tourne vers les multiples comités ONUsiens chargés de la surveillance des conventions générales (pactes relatifs aux droits civils et politiques ou aux droits économiques sociaux et culturels) ou spécifiques (convention contre le racisme, sur les droits de l’enfant…) : là encore, les hommes sont très largement majoritaires. Sauf, bien sûr (sic) au Comité chargé du suivi de la CEDEF, où l’on ne compte qu’un homme pour 23 femmes –comme si les droits des femmes n’intéressaient que les femmes !
Articulée autour d’une déclaration de principe (et d’une pétition ouverte à la signature), la campagne GQUAL se décline également en courriers qu’il est possible d’adresser au ministre des affaires étrangères soit pour lui rappeler la nécessité d’améliorer la situation (songeons qu’aucune femme n’a jamais siégé au titre de la France ni à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (depuis 1959), ni à la Cour de Justice de l’Union Européenne (depuis 1957), ni à la Cour Internationale de Justice (depuis 1946)….), soit pour lui suggérer des candidates possibles. Il est également possible de télécharger des visuels à diffuser et disséminer sur les réseaux sociaux… A consommer et diffuser sans modération.
Originally published in Liberation: http://doyoulaw.blogs.liberation.fr/2015/09/30/nommer-des-femmes-aux-postes-de-pouvoir-oui-cest-une-obligation/